Pierre Lévy : l’intelligence collective

pierre-levy-intelligence-collectiveNé le 2 Juillet 1956 à Tunis, Pierre Lévy a complété des études d’histoire, puis d’histoire des sciences. Il a découvert sa vocation de chercheur en suivant les cours de Michel Serres à la Sorbonne. Il a rédigé une thèse de sociologie sur l’idée de liberté dans l’Antiquité avec Castoriadis à l’EHESS (1983). Ensuite, il a fréquenté les cours du soir du CNAM en informatique.

Très tôt convaincu du rôle capital des techniques de communication et des systèmes de signes dans l’évolution culturelle en général, il s’est donné pour première tâche de penser la « révolution numérique » contemporaine sur les plans philosophique, esthétique, éducatif et anthropologique. Il a travaillé pendant deux ans (1984/1985) au CREA de l’École Polytechnique sur la naissance de la cybernétique et de l’intelligence artificielle. Il a participé, avec l’équipe réunie autour de Michel Serres, à la rédaction des Éléments d’histoire des sciences  1989) où il signe le chapitre sur l’invention de l’ordinateur. Il publie un premier ouvrage, La machine Univers  (1987) sur les implications culturelles de l’informatisation et ses racines dans l’histoire de l’Occident.

Il a séjourné pendant deux ans au Québec (1987/1989), où il était professeur invité au département de communication de l’Université du Québec à Montréal. Il en profita pour améliorer ses connaissances en sciences cognitives et découvrir le monde naissant de l’hypertexte et du multimédia interactif. Son deuxième ouvrage Les technologies de l’intelligence a été le fruit de son expérience en Amérique du Nord.

Revenu en Europe, il a imaginé une forme d’écriture iconique et interactive sur écran d’ordinateur. Quelle écriture aurions-nous inventée si nous avions disposé de supports dynamiques et interactifs plutôt que d’un support fixe ? Vraisemblablement une écriture qui ne note pas le son, comme l’alphabet, mais les modèles mentaux. Son livre L’idéographie dynamique  fonde un tel système de signes, qui systématise aussi bien l’usage des simulations graphiques interactives dans la recherche scientifique, que celui (méprisé et décrié) des jeux vidéos.

Il a enseigné les technologies pour l’éducation et les sciences cognitives à Nanterre (1989/1991). À la même époque, il devient membre du comité de rédaction de la revue Esprit. Dès 1990, il a dirigé, avec Michel Authier, une série de recherches et de réflexions sur les nouvelles formes d’accès au savoir permises par les instruments numériques. Ils ont abouti ensemble au concept de « cosmopédie »: encyclopédie en forme de monde virtuel qui se réorganise et s’enrichit automatiquement selon les explorations et les interrogations de ceux qui s’y plongent.

Il a participé avec Michel Authier aux travaux de la « Mission Serres » sur l’enseignement à distance, lancé par le premier ministre français Edith Cresson (1991/1993). Il a contribué à l’invention d’une application particulière de la cosmopédie: le système des « arbres de connaissances ». Il s’agit d’un système ouvert de communication entre individus, formateurs et employeurs, permettant de reconnaître la diversité des compétences des personnes, de réguler apprentissages et formations et de rendre visible par une cartographie dynamique « l’espace du savoir » de groupes humains (écoles, entreprises, bassins d’emplois) sans pour autant attenter à la vie privée des individus. Le projet des arbres de connaissances  est décrit dans l’ouvrage du même nom, co-signé avec Michel Authier et préfacé par Michel Serres (1992).

Ensuite, il a publié De la programmation considérée comme un des beaux-arts (1992) qui analyse sur quatre cas concrets les actes cognitifs et sociaux mis en oeuvre par les programmeurs: l’informatique n’est pas la technique froide que l’on imagine.

Depuis 1993, il est invité à titre de professeur au département Hypermédia de l’Université Paris-8 à St-Denis. Il a publié en 1994 un ouvrage sur L’intelligence collective, qui lui semble la seule utopie à opposer aux malheurs contemporains et le meilleur usage possible des technologies de communications interactives. L’année suivante, il a analysé dans son livre Qu’est-ce que le virtuel?  la mutation contemporaine du corps, de la culture et de l’économie. Contrairement à certains points de vue catastrophiques, cet ouvrage analyse la virtualisation de la fin du XXème siècle comme une poursuite de l’hominisation.

Plus récemment, il a publié chez Odile Jacob Cyberculture  qui se veut un manifeste humaniste de la nouvelle culture en émergence. Son grand projet: élaborer un système philosophique de l’immanence, intrinsèquement hypertextuel, iconique et interactif, une sorte de Yi-King du XXIe siècle, qui devrait être consulté de manière interactive sur le Web, pourrait servir de plaque d’orientation pour des recherches en philosophie et sciences humaines et servir de support à des recherches-actions dans le domaine de l’éducation.

Ouvrages

Cyberculture. Odile Jacob, Paris, 1997

Qu’est-ce que le virtuel ?
La Découverte, Paris, 1995, collection de poche en 1998

L’intelligence collective. Pour une anthropologie du cyberespace
La Découverte, Paris, 1994,  collection de poche en 1997

Les arbres de connaissances,
(en collaboration avec Michel Authier), La Découverte, 1992, collection de poche en
1996

De la programmation considérée comme un des beaux-arts
La Découverte, Paris, 1992

L’idéographie dynamique. Vers une imagination artificielle ?
La Découverte, Paris, 1991

Les technologies de l’intelligence. L’avenir de la pensée à l’ère informatique
La Découverte, Paris, 1990, collection « Points-Sciences » au Seuil en mars 1993.

La Machine Univers. Création, cognition et culture informatique.
La Découverte,  Paris, 1987
collection « Points-Sciences », au Seuil, en 1992


L’intelligence collective, une nouvelle utopie de la communication ?
Introduction

I Contextes et concepts :

1- L’anthropologie du cyberespace
a- Qu’est-ce qu’un espace anthropologique ?b- Quelles sont les caractéristiques de ces différents espaces anthropologiques ?
2- Les technologies de l’intelligence
a- L’infrastructure matérielle du cyberespace
b- l’infrastructure intellectuelle du cyberespace

3- Le concept d’intelligence collective
a – Qu’est-ce que l’intelligence collective ?
b- Ce qu’elle n’est pas….
c – Vers une nouvelle écologie cognitive

II Us et coutumes de l’intelligence collective

1- Qu’est-ce que la cyberculture ?
a- L’universel sans totalité
b- Le cyberspace
c- L’art du cyberespace
 
2- Les nouveaux rapports aux savoirs
a – le deuxième déluge et l’inaccessibilité du tout : la nécessaire médiation
b- vers nouvelles formes d’apprentissage : l’apprentissage ouvert et à distance (AOD), l’apprentissage coopératif.
c- gestion des savoirs-faire et des compétences ou l’intelligence collective dans l’ organisation
d- une cartographie dynamique de l’espace de savoir : cinécartes et arbres de connaissances
 
3- L’intelligence collective dans les faits :  » le deuxième monde  » et autres prototypes de mondes virtuels
a- agoras virtuelles ou forums de discussion
b- réalité virtuelle et 3D
c- un autre exemple actuel d’intelligence collective : l’essor des logiciels libres
d- la nétiquette

III Potentialités, problèmes & perspectives du cyberspace

1- La refonte du lien social
a-  » Intelligence collective, poison et remède de la cyberculture « 
b- La nouvelle ingénierie du lien social.

2- Conflits d’intérêts et cohabitation virtuelle dans le cyberespace
a- Internet marchand/internet libertaire : cohabitation
b- Faut-il règlementer et si oui, comment ?
 
3- L’illumination déterministe.
a- Une  » randonnée philosophique  » autour de l’inconscient collectif
b- Le savoir comme nouvelle infrastructure ?
c- L’universel sans totalitarisme
d- Une démocratie directe, en temps réel ?
Conclusion

BibliographieLiens utilesIntroduction

Selon Pierre Lévy, l’hominisation, le processus d’émergence du genre humain, n’est pas terminé. Après l’homo sapiens voici venu l’homo communicans qui évolue dans le nouvel espace des savoirs.
C’est donc un point de vue d’anthropologue qui fonde toute sa réflexion et le projet d’intelligence collective qui en découle. Selon lui, il n’y pas d’alternative : le cyberspace existe, il l’a étudié et propose d’en tirer le meilleur parti, à la fois sur le plan individuel et sur le plan collectif, l’un et l’autre étant d’ailleurs indissociables.
P. Lévy définit les conditions et les modalités possibles de cette mutation culturelle. Mettant en évidence les potentialités, encore insoupçonnées pour la plupart, des technologies de l’information, et en particulier de l’établissement d’un réseau informatique et multimédia à l’échelle planétaire, l’auteur évoque l’émergence d’une intelligence collective, productrice d’un savoir de type nouveau qui constituera la matrice d’une civilisation nouvelle.
Le projet peut se réaliser à partir des données déjà existantes : la cyberculture, telle qu’il la définit en contient les germes, l’accès au savoir, au travers, notamment du Web connaît une sorte de révolution, et ça et là des formes de collectifs intelligents émergent.
D’indéniables potentialités donc mais aussi d’inévitables questions : la technologie n’est-elle pas excluante, la virtualisation du monde n’entraîne-t-elle pas la virtualisation de l’existence individuelle, une forme de désocialisation.
Comment l’idéal libertaire qui a fait naître et croître le cyberspace et qui semble être la condition de sa survie et de son autonomie, pourra-t-il résister face à la volonté de le faire prospérer, au sens marchand du terme ?
Nous soulignerons, pour finir, l’originalité de la pensée de Lévy, qu’on pourrait , un peu rapidement juger opportuniste, mais qui, notamment en instrumentalisant son projet d’intelligence collective, ne propose pas une simple relecture/réactualisation de la pensée de Wiener et des cybernéticiens, mais se dote de réels moyens de changer le monde en revalorisant l’homme et en le plaçant au  » centre  » du dispositif.
On peut aussi se demander si, si certains des concepts clairement hérités de la cybernétique (la transparence, la démocratie directe…) redeviennent à la mode sous la poussée parfois de la nécessité, ce n’est pas parce que la société a eu le temps de construire des contre-feux pour gommer la radicalité intellectuelle et sociale de l’approche cybernétique.
En bref, ce projet d’intelligence collective, dont Wiener avait eu la  » vision « , n’est-il pas toujours une utopie, non plus du fait de l’inexistence des infrastructures techniques, mais du fait de la main-mise du politique et de l’économique sur celles-ci ?

I Contextes et concepts :

1- L’anthropologie du cyberespace

a- Qu’est-ce qu’un espace anthropologique ?

 »  Un espace anthropologique est un système de proximité propre au monde humain, dépendant des techniques, des significations,du language, de la culture des conventions, des représentations humaines. « 

D’après Lévy, l’humanité a connu à ce jour trois espaces anthropologiques successifs, la terre, le territoire, l’espace des marchandises, qui se sont superposés les uns aux autres. Le prochain millénaire devrait voir l’emmergence d’un quatrième espace, l’espace du savoir qui viendrait subordonner les trois autres.
b- Quelles sont les caractéristiques de ces différents espaces anthropologiques ?

  • la Terre :

Le rapport au cosmos constitue ce premier espace, sur le plan imaginaire (animisme, totemisme) et sur le plan pratique dans le contact avec la nature. Les modes de connaissance de cet espace sont les mythes et les rites. L’identité s’inscrit à la fois dans le lien au cosmos, le rapport de filliation ou l’alliance avec d’autres hommes

  • le Territoire :

A partir du néolithique, on assiste à un mouvement de sédentarisation, accompagné de nouvelles formes d’organisations sociales, au début des pratiques agricoles, les premières formes de languages et d’écriture apparaissent. Les richesses se fondent sur la possession et l’exploitation des champs. Les modes de connaissance dominants sont fondés sur l’écriture. Commencent l’Histoire, le développement des savoirs de type sytématique, théorique ou herméneutique. Le pivot de cet espace devient le lien à une entité territoriale définie par ses frontières.

Lévy prolonge cette période jusqu’à la seconde guerre mondiale, et de montrer, que la majeure partie de l’humanité est restée paysanne, et que les boulversements d’empire, les remuements de peuples et quelques innovations techniques ont très peu modifié l’ordre de cet espace.

  • l’espace des marchandises :

Lévy hesite quant à la fixation d’un point de départ à ce nouvel espace. Est-ce à l’aube du miracle grec qui voit l’inventon de la monaie et de l’alphabet, à la renaissance ou la première industrie de masse celle du livre permet l’accélération de la circulation des idées, tandis que les navigateurs européens rejoingnent tous les continents, ou doit-on attendre l’aube des temps modernes et le début de la révolution industrielle, époque à laquelle des mouvements de déterritorialisation commencent à s’amorcer.

Le capitalisme fonctionne d’abord, grâce à l’Etat territorial, puis l’espace des marchandises prend son autonomie par rapport au territoire. Ainsi, la richesse ne vient plus de la maitrise des frontières, mais du contrôle des flux, c’est le règne de l’industrie au sens large, industrie de la matière mais aussi de l’information.  » le capitalisme transmute en marchandise tout ce qu’il parvient à entrainer dans ses circuits « .

Dans cet espace, l’identité sociale est définie par le travail, la participation à la production et aux échanges économiques. Cet espace voit le règne de la science expérimentale, puis après la Seconde Guerre mondiale de la  » technoscience  » toute puissante,  » mue par la dynamique permanente de la recherche et de l’innovation économique « .

Ainsi, le mouvement de l’industrie et du commerce a été pendant trois siècle le moteur principal de l’évolution des sociétés. Aujourd’hui, le capitalisme est l’économie.

  • l’espace du savoir :

A l’aube du troisième millénaire, l’humanité vit un une mutation fondamentale du rapport au savoir qui engendre l’emmergence d’un quatrième espace celui du savoir. Dans un environement globalisé par l’extension des moyens de télecommunication, les hommes sont redevennus nomades, mobiles et immobiles grâce à  » l’électronique baladeuse « ,  » l’espace de ce nouveau nomadisme n’est pas le territoire géographique, ni celui des institutions ou des Etats, mais un espace invisible des connaissances, des savoirs, des puissances de pensées « 

En effet, l’augmentation des flux d’information, et la rapidité du processus d’obsolescence de cette information dans les domaines scientifiques, techniques, économiques, professionnels oblige les individus, à se doter de nouveaux instruments de navigation pour capturer l’information pertinente au sein de ces flux d’information en perpétuel mouvement, et à s’associer en réseau d’innovation.

Dans son analyse anthropologique, Lévy se garde de tout déterminisme technologique, il s’attache en effet à montrer que le mouvement des innovations technologiques accompage les trnsformations culturelles de la société  » les espaces anthrolpologiques se pensent eux-même avec leurs propres outils « , et qu « à chaque espace anthropologique correspond des modes caractéristiques d’acquisition des connaissances.
Aujourd’hui, l’homo sapiens est confronté à une modification rapide de son millieu, au delà de la veille informationnelle, Lévy affirme la nécessité de penser ensemble l’organisation de la société de demain, et pour cela il prone l’usage de dispositifs qui contribueront à la production d’une intelligence collective. En effet, la coordination en temps réel de cette intelligence dispersée dans chaque inividu  » ne peut reposer que sur les technologies numériques de l’information, audelà d’un certain seuil quantitatif.
Ces technologies de l’intelligence ouvrent une autre dimension à la communication, elles seront :
– les instruments qui favorisent le développement du lien social par l’apprentissage et l’échange des savoirs.
– les agencements de communications aptes à écouter à intégrer et à restituer la diversité plutôt que ceux qui reproduisent le diffusion médiatique traditionnelle.
– les ingénieries sémiotiques qui permettent d’exploiter et valoriser les gisements de données au plus grand nombre.

 

2- Les technologies de l’intelligence

L’objet n’est pas ici de dresser le panorama des différentes technologies qui existent actuellement. Il ne s’agit pas non plus de retracer toute l’histoire de l’informatique. La question se pose de savoir comment les nouvelles technologies rendent possibles l’émergence de l’intelligence collective.
L’auteur distingue entre les technologies matérielles et les technologies intellectuelles
a- L’infrastructure matérielle du cyberespace

Le cyberespace ne pouvait voir le jour qu’avec l’avènement d’une certaine forme d’universalité technologique. Celle-ci fut atteinte avec l’interconnexion et la numérisation.

  • l’interconnexion comme infrastructure du cyberespace

Le développement de l’informatique et son succès peuvent se résumer par l’existence de trois tendances inéluctables:
le matériel informatique devient de plus en plus puissant,
-les prix sont de moins en moins chers
-l’utilisation est de plus en plus simple et conviviale.
Mais ce schéma ne suffit pas à tout expliquer Le cyberespace résulte surtout de l’interconnexion mondiale des ordinateurs. Celle-ci résulte de la construction d’interfaces c’est à dire de dispositifs permettant la mise en relation de deux systèmes favorisant l’échange de données. On distingue les interfaces logicielles qui relient différents composants de programmes comme un traitement de texte et une base de données ; et les interfaces qui correspondent à tous les dispositifs permettant le dialogue entre l’homme et la machine comme les fenêtres de dialogues L’interface est donc un des facteurs fondamentaux de l’interconnexion. Mais il en existe un autre : le numérique.

  • L’essor du numérique comme technologie du cyberespace.

Le cyberespace découle de la « coordination et de l’interdépendance toujours plus transparente des systèmes « . Le numérique qui représentent les données sous la forme binaire est la langue universelle de tous les ordinateurs. Peu à peu, il s’étend à tous les systèmes électroniques,Tv ,radio et bientôt grille pain !. Il permet la compatibilité entre tous les systèmes. Le développement du numérique est donc  » systématisant et universalisant « .  » Plus le numérique s’affirme comme un support privilégié de communication et de collaboration, plus cette tendance à l’universalisation marque l’histoire de l’informatique « (p131cyberculture).
Pour Lévy, le numérique nous fait entrer dans une autre ère. Pour Lévy, on passe d’une technologie molaire à une technologie moléculaire. Qu’est-ce qu’une technologie moléculaire ?  » Par opposition aux technologies « molaires  » qui prennent les choses en gros, en masse, à l’aveugle, de façon entropique, les technologies « moléculaires  » adressent très finement les objets et les processus qu’elles contrôlent « (p51L’intelligence collective) C’EST un mouvement technique vers la finesse qui s’adapte parfaitement aux microstructures. Au niveau des sciences de la matière cela correspond aux technologies dites « froides  » représentées par les nanotechnologies. Celles-ci permettent un contrôle de la matière à l’échelle microscopique grâce à un assemblage de molécules atome par atome. Elles permettent une appréciation qualitative grâce à une très grande précision des microstructures. Les technologies moléculaires exploitent « au plus juste  » chaques ressources de façon indépendante et rendent nuls les risques de gaspillages.
Au niveau des sciences de l’information, trois groupes sont à distinguer : les techniques somatiques, médiatiques et numériques.

Les techniques somatiques sont celles qui engagent le corps pour la production de signes ; ex : la voix, la danse. Les techniques médiatiques reproduisent ces signes et les diffusent à une plus grande échelle ex : l’écriture ; l’aboutissement étant les médias de masse tels que la télévision ou la radio. Ce sont des technologies molaires car la reproduction reste figée. En effet,  » les médias sont des technologies molaires qui agissent sur les messages que de l’extérieur en gros et en masse « (p56L’intelligence collective « .

Avec l’avènement du numérique, le montage peut porter sur d’infimes fragments du message. L’informatique est en cela une technologie moléculaire car elle permet de retraiter l’information quasiment bit par bit .Le récepteur n’est donc plus cantonné à un rôle passif, il peut retravailler les documents à l’infinie. Cette implication toujours plus grande du récepteur se traduit également par l’utilisation de l’hypertexte.

Tableau des grandes évolutions technologiques
 

Techniques archaïques Techniques molaires Techniques moléculaires
Contrôle des espèces vivantes  Séléction naturelle Absence de finalité Séléction artificiellefinalisation Génie génétique
Contrôle de la matière MécaniqueAssemblages de matériaux Thermo-dynamique(chaud)Production d’énergie et modification des caractères de la matière par chauffage et mélanges Nano-technologie(froid)Assemblages microscopiques, atome par atome
Contrôle des messages SomatiqueProduction par des corps vivants
Variation des messages en fonction du contexte
MédiatiqueFixation, reproduction, décontextualisation et diffusion des messages NumériqueProduction, diffusion et interaction en contexte.
Contrôle des messages bit par bit
Régulation des groupes humains  OrganicitéLes membres d’un groupe organique ont la connaissance mutuelle de leurs identités et de leurs actes. TranscendanceLes membres d’un groupe molaires sont organisés par catégories, unifiés par des leader et des institutions, gérés par une bureaucratie ou fusionnés par leur enthousiasme. ImmagenceUne grande collectivité en auto-organisation est un groupe moléculaire.
Usant de toutes les ressources des technologies fines, elle valorise sa richesse humaine qualité par qualité

In  » L’intelligence collective « , Pierre Lévy, éd. La Découverte, 1990, p.64

  • l’hypertexte comme architecture du cyberespace

Avec l’hypertexte,le texte devient un élément dynamique qui ne se suffit plus à lui-même. Par les liens qu’il propose il permet une adaptation très souple au besoin du lecteur qui n’est pas obligé de lire l’intégralité du document. L’hypertexte permet de renvoyer sur un autre fichier qui peut se trouver dans n’importe quel autre système. Le texte devient alors un  » potentiel de texte « . Ainsi Lévy définit l’hypertexte comme une  » matrice de textes potentiels, dont seuls quelques-uns vont se réaliser sous l’effet de l’interaction avec un utilisateur. « . A la différence du texte papier l’ordinateur donne accès à une réserve d’information qui ne prendra forme qu’avec l’action de l’utilisateur. Donc le passage à l’hypertexte est une virtualisation des processus de lecture.(p41). Lévy estime même que  » depuis l’hypertexte, toute lecture est un acte d’écriture « .Un hyper-document se trouve donc restructuré en temps réel par le réseau. Cela ne pose pas seulement le problème de la filiation d’une œuvre ; c’est toute la théorie de la communication qui se trouve bouleversée.

  • pour une réactualisation de la théorie du canal de Shannon

 » La tendance à l’interconnexion provoque une mutation dans la physique de la communication : on passe des notions de canal et de réseau à une sensation d’espace englobant « (p150Cyberculture)
La thèse de Shanonn se doit donc d’être réactualisée. Le canal ne suffit plus à expliquer la circulation des informations. Les différents acteurs se sont démultipliés. Avec le cyberespace, l’émetteur comme le récepteur peuvent être composés de plusieurs éléments sans cesse nouveaux par le biais de l’hypertexte. Le signal se trouve donc alimenté par différentes sources extérieures. Il ne s’agit pas de « bruit  » venant parasiter la transmission de l’information mais bien au contraire de compléments venant l’enrichir et, par la même, permettre de lutter contre l’entropie. La nature du canal s’en trouve changée. Sa vision ne doit plus être linéaire. A regarder les nœuds qui forment le réseau, parler de circonvolutions serait plus approprié. Sommes-nous en train de vivre une révolution comparable à celle du passage des cultures orales aux cultures de l’écriture ? Pour Lévy cela ne fait aucun doute :  » l’émergence du cyberespace, en effet, aura probablement –a même déjà aujourd’hui –sur la pragmatique des communications un effet aussi radical que l’eut en sont temps l’invention de l’écriture. « ( p131cyberculture). Au même titre que l’imprimerie, l’outil numérique transforme radicalement les modes de transmission de l’information.

b- l’infrastructure intellectuelle du cyberespace

 »  le cyberespace n’est peut être que l’indispensable détour technique pour atteindre l’intelligence collective « 

  • la simulation

La virtualisation a entraîné de nouvelles méthodes de travail. La recherche scientifique ne fait plus de distinction entre théorie et expérience. Les deux peuvent désormais être liées. Les évolutions d’un travail peuvent se voir en temps réel de façon virtuelle.  » L’ordinateur rend à l’imagination la place qu’elle mérite « . Cf  » Qu’est ce que le virtuel « . Lévy parle donc de « connaissance par simulation « .

Ces nouveaux moyens ne pouvaient apparaître qu’en corrélation avec l’évolution des mœurs face aux nouvelles technologies.

  • évolution des mœurs face à l’émergence des techniques

Les sciences ont connu une grave crise de confiance au sortir de la seconde guère mondiale. Une attitude réfractaire de nombreux individus qui voyaient dans les sciences le moyen recherché par le pouvoir pour mieux diriger. Aujourd’hui l’émergence de l’intelligence collective appelle un renversement de tendance. Les sciences ne sont plus considérées comme un danger dont il faut se méfier. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ceux qui étaient hier opposés à la notion de progrès technique sont souvent ceux aujourd’hui qui en font l’éloge. Les « matheux  » comme les « littéraires  » utilisent un ordinateur. Rares sont les penseurs qui remettent en cause l’évolution de l’informatique et des réseaux. Lévy l’explique notamment par le fait que l’informatique perdit son statut de technique et de secteur industriel particulier et commença sa fusion avec les télécommunications, l’édition , le cinéma et la télévision. On assista ainsi à la naissance d’une « culture informatique « .

Il fallait des outils permettant de valoriser les richesses intellectuelles personnelles. Le cyberespace constitue donc l’infrastructure de l’intelligence collective.
Pierre Lévy est partisan de l’ouverture d’un débat d’orientation quant à l’usage de ces nouvelles technologies dans notre société. L’enjeu politique est selon lui trop important pour qu’on le laisse aux seuls scientifiques. L’ensemble des individus devrait prendre part au débat dans une sorte de techno-démocratie.

 

3- Le concept d’intelligence collective

Ainsi, de et dans l’espace marchand en crise, émerge l’espace du savoir où les échanges ne portent plus sur des biens matériels ou leur contrepartie monétaire mais sur les discours et les pensées. Cet espace encore en genèse s’appuie sur les nouvelles technologies de l’information et constitue l’enjeu essentiel des mutations économiques et culturelles de la fin du 20e siècle.

P. Lévy met en évidence les potentialités, encore insoupçonnées pour la plupart, des technologies de l’information, et en particulier de l’établissement d’un réseau informatique et multimédia à l’échelle planétaire, il évoque l’émergence d’une intelligence collective, productrice d’un savoir de type nouveau qui constituera la matrice d’une civilisation nouvelle.

a – Qu’est-ce que l’intelligence collective ?

L’intelligence collective consiste à mobiliser au mieux et à mettre en synergie les compétences des individus, en partant du principe que chacun sait quelque chose, est doué de compétences et de savoir-faire.

C’est le projet, d’ « une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel et qui aboutit à une mobilisation effective des compétences individuelles « . (« l’intelligence collective « , p. 29)

  • Partout distribuée : axiome de départ

Personne ne sait tout, tout le monde sait quelque chose, tout le savoir est dans l’humanité. Il n’y a pas, comme dit Lévy, de  » réservoir de connaissance transcendant «  et le savoir n’est autre que ce que savent les gens.

A ceux qui seraient tenter de penser que tel ou tel ne sait rien, Lévy conseille de chercher dans quel contexte ce qu’il sait vaut de l’or…

  • Sans cesse valorisée

Un constat : alors qu’on ne laisse, en principe, dormir aucune ressource économique ou financière, que les administrations et les entreprises resserrent impitoyablement leurs budgets et que, enfin, quelques grands principes écologistes font lentement leur chemin dans les esprits, poussant à refuser les dilapidations d’énergie et à recycler les matériaux, on gâche de précieuses sources de richesses : les compétences humaines.

Le projet de l’intelligence collective veut donc promouvoir dans les écoles, dans les quartiers, dans les

entreprises, la reconnaissance des compétences et des savoirs déjà acquis. On brisera le cercle vicieux de la (dé)disqualification, par l’expression, l’écoute et la requalification.

  • Mise en synergie en temps réel

Toutefois, si les individus sont tous intelligents à leur manière, les groupes déçoivent souvent. On sait

que, dans une foule, les intelligences des personnes, loin de s’additionner, auraient plutôt tendance à se diviser. La bureaucratie assure une certaine coordination, en étouffant les initiatives. Si de bonnes règles d’organisation et d’écoute mutuelle suffisent à la valorisation réciproque des intelligences dans les petits groupes, pour les groupes importants la planification hiérarchique et la gestion de l’humain par catégories massives a longtemps semblé inévitable. Or les techniques de communication contemporaines pourraient changer la donne. L’interconnexion des ordinateurs peut être un instrument au service de l’intelligence collective. En effet, le  » cyberespace  » en voie de constitution autorise une communication non médiatique à grande échelle.

Les médias classiques (relation un-tous) instaurent une séparation nette entre centres émetteurs et récepteurs passifs isolés les uns des autres.

Le téléphone (relation un-un) autorise une communication réciproque, mais ne permet pas de vision globale de ce qui se passe sur l’ensemble du réseau ni la construction d’un contexte commun.

On approche d’une infrastructure pour l’intelligence collective grâce à un troisième dispositif de communication, structuré par une relation tous-tous : le « cyberespace « , dans lequel chacun est potentiellement émetteur et récepteur dans un espace différencié, non figé, aménagé par les participants, explorable.

 » Le cyberspace, espace mouvant des interactions entre connaissances et connaissants de collectifs intelligents déterritorialisés. «  (IE, p.30)

  • Reconnaissance et mobilisation effective des compétences

Si l’on veut mobiliser les compétences, il faut les identifier, les repérer, dans toute leur diversité.

Question capitale qui n’a pas uniquement pour enjeu une meilleure gestion des compétences dans les entreprises et organisations mais aussi une dimension  » éthico-politique  » de lutte contre l’exclusion.

 

L’intelligence collective, caractéristiques fondamentales :
· décentralisation du savoir et des pouvoirs,

· autonomie des individus valorisés en tant que créateurs de sens,

· expansion d’un espace intersubjectif dégagé des contraintes économiques et étatiques,

· interactivité constante entre les individus et leur environnement (technique, économique, écologique…) dont les modifications sont perçues et contrôlées en temps réel,

· désagrégation des structures massives (que l’auteur appelle « molaires ») au profit d’entités autonomes, petites et conviviales,

· émergence d’une nouvelle convivialité et d’une nouvelle éthique…

 

 

b- Ce qu’elle n’est pas….

    • Un projet de subordination des individus à des  » communautés transcendantes et fétichisées «  : rien à voir avec une fourmilière où chaque individu est stupide mais où le  » collectif  » produit un résultat, où l’interaction produit un comportement globalement intelligent.

 » Seront réputées haïssables et barbares toutes les tentatives pour rapprocher peu ou prou le fonctionnement de la société à celui d’une fourmilière «  (IE p.32)

En effet, l’intelligence collective, nous l’avons vu, commence et croît avec le savoir et ne résulte pas mécaniquement d’actes automatiques.
Les individus qui peuplent l’Espace du Savoir ne sont pas interchangeables mais singuliers, multiples, nomades et en apprentissage permanent.

  • L’intelligence collective n’est pas la fusion des intelligences individuelles dans une sorte de

magma communautaire mais, au contraire, la mise en valeur et la relance mutuelle des singularités. Actuellement, non seulement les structures sociales organisent souvent l’ignorance sur les capacités des individus, reconnus par leurs seuls diplômes ou position sociale, mais encore elles bloquent les synergies transversales entre projets, ressources et compétences, elles inhibent les coopérations. Pourtant, la multiplication des intelligences les unes par les autres est la clef du succès économique. Ce serait également une des voies du renouveau de la démocratie.

C’est, en définitive, le projet d’une société  » intelligente partout « , plus efficace et vigoureuse qu’une société intelligemment dirigée.

 » On passe du cogito cartésien au cogitamus « 

c – Vers une nouvelle écologie cognitive

Tous ces éléments disparates (pensée individuelle, institutions, techniques de communication) s’articulent, selon Lévy, pour former des  » collectifs pensants hommes-choses « .

D’un point de vue général, l’écologie cognitive, qui suppose l’examen des dispositifs, des agencements, des réseaux, de leur(s) pragmatique(s) interne(s), des conditions de production de transmission-propagation et d’émergence des énoncés, des textes, des discursivités de toutes sortes, consiste à prendre comme objet autrui, comme fondement, condition de possibilité des modes de perception, des formes de pensée, de réflexion. Elle se consacre à l’étude des interactions entre les déterminants biologiques, sociaux et techniques de la connaissance.

Dans l’écologie cognitive de Lévy, autrui devient ces collectifs  » bigarrés, mélangés «  définis plus haut.

Déjà, une nouvelle écologie des médias s’organise autour de l’extension du cyberespace.

Chaque connexion supplémentaire ajoute de l’hétérogène, de nouvelles sources d’information, de nouvelles ouvertures, si bien que le sens global est de moins en moins lisible, de plus en plus difficile à circonscrire, à clore, à maîtriser.
Les  » agents virtuels  » revêtent plusieurs formes et niveaux de complexité ; ils s’autogèrent, régulent leurs actions et modifient leurs comportements en fonction de l’environnement. Ils évoluent perpétuellement sur le réseau, se transforment parfois si profondément que leur créateur ne les reconnaît plus : la mutation est analogue à celle d’un organisme cellulaire : ex. des Créatures (logiciel de simulation de la vie artificielle) ou des virus sur le réseau. Le réseau devient une véritable jungle virtuelle, si bien qu’il devient impossible pour quiconque d’en avoir une vision globale: il est étant d’acteurs ayant chacun des angles de vue virtuels, en constante interaction, chaque  » point de vue  » est parcellaire.

D’où un accroissement de l’entropie informationnelle qui rend possibles toutes les méprises en vertu de l’adage bien connu selon lequel trop d’information tue l’information.

Le World Wide Web – cet immense  »  hyperdocument en transformation permanente, continuellement alimenté par des inputs venant absolument de toutes les parties du monde et interconnecté constamment avec sans arrêt de nouveaux liens qui se créent à l’intérieur de cet immense hyperdocument créé par des gens du monde entier « – est une illustration matérielle de ces  » collectifs « : pas de centre du réseau, pas de sens unique.

Des règles vont devoir être trouvées (infoéthique, nétiquette) pour éviter les débordements Le virtuel doit obéir à des règles précises au même titre que le réel. Dans les faits, les mondes virtuels deviendront progressivement partie intégrante du  » décor « , comme l’ordinateur fait aujourd’hui partie des meubles ; ils composeront notre environnement social proche et cognitif. Dès lors, le virtuel aura d’une certaine façon rejoint le réel.

II Us et coutumes de l’intelligence collective

1- Qu’est-ce que la cyberculture ?

 » C’est une transformation de la notion même de culture. « 

 » Loin de disloquer le motif de la  » tradition « , la cyberculture l’incline d’un angle de quarante-cinq degrés pour la disposer dans l’idéale synchronie du cyberspace. La cyberculture incarne la forme horizontale, simultanée, purement spatiale de la transmision. Elle ne relie dans le temps que par surcroit. Sa principale opération est de connecter dans l’espace, de construire, d’étendre les rhizomes du sens. « 

a- L’universel sans totalité

Cette culture particulière se caractérise par la notion d’universel sans totalité, véritable paradigme unifiateur de toutes les valeurs qui sous-tendent la cyberculture.

Cet universel sans totalité s’entend aisément sur le plan technique, il s’agit d’un réseau dépourvu de centre dont les usagers utilisent le même protocole de communication le TCP/IP qui leurs permet de mettre en relation leurs machines et donc leurs personnes.

Sur le plan idéologique, cet universel sans totalité illustre la vocation première du cyberspace qui est d’exprimer la diversité de l’humain, de permettre que  » chaque noeud du réseau peut devenir producteur ou emmetteur d’informations nouvelles  » .

Les frontières de la cyberculture, du cyberspace, sont indéfinies, intotalisables, constamment élargies par de nouveaux liens,  » chaque fois que vous avez un nouveau noeud dans le réseau, un nouveau site, (…), vous avez une nouvelle source d’hétérogénéité et de diversité « .

b- Le cyberspace

La cyberculture se virtualise dans une nouvelle dimention : le cyberspace.

Une des thèses de Lévy à propos de la cyberculture est que le cyberspace  » dissout la pragmatique de communication qui, depuis l’invention de l’écriture, avait conjoint l’universel et la totalité « , comment ?

Certes, il n’y a pas d’universalité sans écriture, c’est l’écriture qui a permis d’étendre l’espace de communication en donnant la possibilité aux messages écrits de subsister en dehors de leur contexte d’émission et de récéption, or Lévy remarque que cette prétention à l’universalité de l’écriture et aujourd’hui des nouveaux médias de masse s’accompagne d’une dangereuse tentation totalisante celle d’  »  instaurer en chaque lieu le même sens « .

Aujourd’hui, la croissance d’Internet, et de la culture numérisée réalise une forme d’universel qui ne totalise pas le sens. Ainsi, le cyberspace  » ramène à une situation d’avant l’écriture du fait de la mise en réseau des intelligences, il n’y a plus d’émission d’un message hors contexte. » (…)  » Quel que soit le message, il est connecté à d’autres messages à d’autres commentaires, à des gloses en évolution constante, aux personnes qui s’y intéressent, aux forums, ..  » Quelque fois un site peut même être intégré à un système de liens hypertextes sans que son emmetteur le sache.

Le cyberspace peut se concevoir comme un immense hyperdocument au sein duquel chacun peut prendre ou apporter sa part.  »  Le patrimoine commun passe sous la responsabilité de chacun (…) c’est la pensée qui pérénise, invente et met en mouvement celle de la société . « 

c- L’art du cyberespace

Les réseaux de communication engloberont bientôt la majorité des représentations et des messages en circulation sur la planète. L’extension de la cyberculture croit au rythme de la numérisation des informations et des oeuvres. Bien plus qu’un support de transmission de l’information multimédia, le cyberspace inaugure pour Lévy de nouveaux modes de production et de réception des oeuvres.

  • pour le texte :

le dispositif hyperdocumentaire de lecture-écriture  » plan hypertextuel infiniement ouvert et mobile « 

  • pour la musique

le  » processus récursif de création et de transfomation d’une mémoire flux  » par une communauté d’opérateurs de musiques, où l’univesrsalisation du contenu s’opère par contact et par mélange, par l’apropriatiation et le mixage de l’oeuvre d’autrui.

  • pour l’image

intéraction sensi-motrice avec un ensemble de données, immersion dans les mondes virtuels, téleprésence, incorporation d’avatars, univers de simulations.

Qu’il s’agisse du texte, de la musique, ou de l’image, ces formes nouvelles d’agencement de l’information conditionnent à leurs tours des modes nouveaux de lecture et de capture de la part d’un public qui n’en est plus vraiment un. En effet, le spactateur est directement impliqué dans le processus d’actualisation de l’oeuvre (affichage, déroulement, édition), Lévy assimile cette action sur l’oeuvre à une forme primaire de co-production. De fait la création s’effectuerait de plus en plus sur des modes collectifs, collaboration entre collectifs d’artitstes, entre artitses, entre artistes et spectateurs incités à s’impliquer de plus en plus dans le processus de création de l’oeuvre. Cette tendance conduirait à une relativisation de la signature de l’artiste, et à terme de l’importance de la notion même d’auteur.

Dans un deuxième temps, on assiste à une relativisation du sens de l’oeuvre, corrélative de son ubiquité, de son immanence, ainsi la connexion de l’oeuvre aux autres oeuvres du réseau s’accompagnerait d’une détotalisation de l’oeuvre. Une fois en ligne, l’oeuvre échappe au contrôle de son créateur, elle est capturée puis réappropriée par d’autres, de fait la signification de l’oeuvre reste ouverte et multiple.

Enfin , le processus de création s’inscrit dans une nouvelle temporalité, l’oeuvre n’en finit plus d’évoluer, de se décliner, d’arborer de nouvelles formes au gré de ses nombreux interprètes. Le propos du travail artistique se déplacerait ainsi sur l’évènement (oeuvre processus, oeuvre évènements)

Le cyberspace se présente comme un gigantesque attracteur culturel en garantissant l’immanensce de l’oeuvre et donc une forme particulière d’universalité par cette présence ubiquitaire qu’elle occupe alors sur le réseau. A ce titre, Lévy prévoit que la nouvelle architecture du cyberspace sera sans doute l’un des art majeurs du XXI e siècle, et de souligner le rôle prépondérants de ceux qui produiront les  » environnements de pensées , de perception, d’interfaces, d’action et de communication  » de demain.

 » Voici le cyberspace, le pullullement de ses communautés, le buissonnement entrelacé de ses oeuvres, comme si toute la mémoire des hommes se déployait dans l’instant : un immense acte d’intelligence collective synchrone. « 

 

2- Les nouveaux rapports aux savoirs

Mutation contemporaine du rapport au savoir :

Trois constats :

. vitesse de renouvellement des savoirs et des savoir-faire (obsolescence des compétences)

. nouvelle nature du travail, dont la part de transaction de connaissances ne cesse de croître (travailler = apprendre, transmettre des savoirs et produire des connaissances), fin du travail salarié ?

. l’émergence du cyberespace ne signifie pas que  » tout  » est en fin accessible, mais bien plutôt que le Tout est définitivement hors d’atteinte

Que faire ? Les parcours et profils de compétences sont de moins en moins canalisables. Il faut construire de nouveaux modèles de l’espace des connaissances

a – Le deuxième déluge et l’inaccessibilité du tout : de l’interconnexion chaotique à l’intelligence collective

Pour Lévy, le Web est un des principaux axes de développement du cyberespace.

 Chaque élément y est à la fois un paquet d’information et un instrument de navigation, une partie du stock et un point de vue original sur le dit stock. Sur le Web, tout est sur le même plan et cependant tout est différencié. Il n’y a pas de hiérarchie absolue, mais chaque site est un agent de sélection, d’aiguillage ou de hiérarchisation partielle.

Pour pallier la confusion qui peut s’en suivre, de nouveaux instruments d’indexation et de recherche doivent être inventés, (cf ses travaux sur la cartographie dynamique des espaces de données (arbres de connaissances, U-Map de Trivium par ex…., les « agents » intelligents ou le filtrage coopératif des informations).

  • La nécessaire médiation

La médiation est nécessaire donc. Breton, lui,en a particulièrement conscience qui relate, pour l’illustrer, une expérience menée avec des documentalistes. Il y a deux approches du Web: d’une part, une approche de curiosité – pour voir  » ce qu’il y a dedans  » -, qui engendre de réelles satisfactions d’ordre ludique ou esthétique ; et, d’autre part, une approche questionnante – la recherche d’une réponse à une question précise -, qui se solde le plus souvent par un échec. L’accès au savoir relève de médiations qui sont généralement absentes de la logique encyclopédiste des produits multimédias (cd-roms également).

Lévy en est bien conscient, mais la tâche semble être trop lourde pour un humain : le médiateur sera technique, car seules les machines sont capables de calculer et recalculer en temps réel le  » discours-paysage  » du groupe en déformant le moins possible la singularité des énoncés individuels.

  • Le  » deuxième déluge « 

Chaque réserve de mémoire, chaque groupe, chaque individu, chaque objet peut devenir émetteur et faire gonfler le flot. A ce sujet, Lévy cite Roy Ascott qui parle du deuxième Déluge : le Déluge d’informations.  » Pour le meilleur ou pour le pire, ce Déluge-là ne sera suivi d’aucune décrue. Nous devons nous habituer à cette profusion et à ce désordre. Sauf catastrophe culturelle, aucune grande remise en ordre, aucune autorité centrale ne nous ramènera à la terre ferme ni aux paysages stables et bien balisés d’avant l’inondation.  » (cyberculture, p. 192)

Navigation, surf, ces métaphores du rapport au savoir donnent une bonne indication de ce que devra être notre attitude face au déluge : capacité à affronter les vagues, les remous, les courants et autres embûches sur une étendue plane, sans frontière, toujours en mouvement.

Le savoir est détotalisé, fluctue et nous nous sentons désorientés. Il ne faut pas !

L’interconnexion en temps réel de tous avec tous est à la fois la cause du désordre et son remède : c’est grâce à elle que l’on peut trouver des solutions pratiques aux problèmes d’orientation et d’apprentissage dans  » l’univers du savoir en flux « . En effet, l’interconnexion favorise, comme nous l’avons vu, les processus d’intelligence collective .

Partant de là, l’intelligence collective (à savoir, répétons-le, la valorisation, l’utilisation optimale et la mise en synergie des compétences, des imaginations et des énergies intellectuelles, dans toute leur diversité et où qu’elles se situent) doit être le nouvel idéal mobilisateur.

Il passe donc par la mise en commun de la mémoire, de l’imagination et de l’expérience, par une pratique banalisée de l’échange des connaissances, par de nouvelles formes d’organisation et de coordination souples et en temps réel.

Les nouvelles techniques de communication favorisent le fonctionnement des groupes humains en intelligence collective, mais ne le rendent pas inéluctable.

Les freins sont nombreux : défense de pouvoirs, rigidités institutionnelles, inertie des mentalités et des cultures…

Cependant le cyberespace, le Web si l’on veut, interconnexion des ordinateurs de la planète, tend, pour Lévy, à devenir l’infrastructure majeure de la production, de la gestion et de la transaction économique. Il constituera bientôt le  » principal équipement collectif international de la mémoire, de la pensée et de la communication « , il sera le  » médiateur essentiel de l’intelligence collective de l’humanité « .

Avec ce nouveau support d’information, des genres de connaissances et des critères d’évaluation inédits naissent ainsi que de nouveaux acteurs dans la production et le traitement des connaissances.

Les système éducatif et les entreprises doivent en tenir compte.

b- Vers nouvelles formes d’apprentissage : l’apprentissage ouvert et à distance (AOD), l’apprentissage coopératif.

Les systèmes éducatifs sont aujourd’hui soumis à de nouvelles contraintes de quantité, de diversité et de vitesse d’évolution des savoirs.

  • Sur un plan purement quantitatif :

la demande de formation n’a jamais été aussi massive. C’est aujourd’hui, dans de nombreux pays, la majorité d’une classe d’âge qui suit un enseignement secondaire. Les Universités débordent. Les dispositifs de formation professionnelle et continue sont saturés. Comme dit Lévy :  » la moitié de la société est ou voudrait être à l’école « .

On ne pourra pas augmenter le nombre d’enseignants proportionnellement à la demande de formation qui est, dans tous les pays du monde, de plus en plus diverse et massive. La question du coût de l’enseignement se pose notamment dans les pays pauvres. Il faudra donc bien se résoudre à trouver des solutions faisant appel à des techniques capables de démultiplier l’effort pédagogique des professeurs et des formateurs. Les écoles et

universités  » virtuelles  » coûtent moins cher que les écoles et les universités en béton délivrant un enseignement en « présentiel » : Audiovisuel,  » multimédia  » interactif, enseignement assisté par ordinateur, télévision éducative, câble, techniques classiques de l’enseignement à distance reposant essentiellement sur l’écrit, tutorat par téléphone, fax ou internet

  • La demande de formation subit aussi une profonde mutation qualitative dans le sens d’un besoin croissant de diversification et de personnalisation.

Les individus supportent de moins en moins de suivre des cursus uniformes ou rigides qui ne correspondent pas à leurs besoins réels et à la spécificité de leur trajets de vie. Flexibilité et diversité sont désormais indispensables.

Le cyberespace peut permettre un accès à la fois massif et personnalisé à la connaissance.

(internet dans les Universités et les écoles primaires et secondaires –accès au Web, programmes éducatifs,  » tutoring  » intelligent  » par courrier ou conf. Electronique ; supports hypermédias (cd-rom, bdd multimédia interactives ; simulation/réalité virtuelle)

Breton, lui, cite Nicholas Negroponte, qui dans L’Homme numérique, se désole, que tant de gens lisent le même journal. Car chacun a la possibilité de composer son propre journal sur les réseaux :  » Mon monde  » composé par un un  » agent d’interface « , capable d’aller chercher les informations répondant aux critères personnalisés de l’utilisateur. Pour lui, à l’évidence, ce type de dispositif rejoint la croyance que le savoir (la connaissance) n’est pas autre chose qu’une certaine combinaison d’informations.

Mais, plus gravement peut-être, il menace le lien, la communauté que peut créer la lecture partagée. Sous le nom d' » interactivité « , il s’agit de valoriser la personnalisation. Ce qui n’est pas sans évoquer un certain discours des années70 sur l’enseignement assisté par ordinateur (EAO), prônant également l’individualisation de la pédagogie.

Pour Breton, une confusion entre information et connaissance, pour des raisons qui sont souvent d’un ordre marchand, se développe. Car la connaissance n’est pas un stock, un produit fini et stable. Il est frappé par l’actualité de la position de Socrate, qui disait : l’écriture ne peut saisir le savoir, car le savoir, contrairement à l’information, n’existe pas en dehors de l’homme. Il pense que la vogue actuelle du multimédia éducatif joue de cette confusion.

Il y a effectivement un problème d’accès au savoir aujourd’hui, une inégalité dans le partage du savoir.

Et, dès lors, le multimédia incarne l’illusion d’une sorte de prêt-à-porter : non seulement il permettrait d’accéder aux informations qui sont à la base du savoir du monde, mais il éveillerait aussi le désir de ce savoir.

Or, encore une fois, l’accès à des informations stockées, aussi utile qu’il soit, ne constitue pas la connaissance.

Lévy, lui, s’adapte à son temps, ne remet pas en question des procesus de toute façon déjà enclenchés. L’apprentissage à distance (AOD) est, selon lui, promis à un bel avenir. Ses caractéristiques sont semblables à celles de la société de l’information dans son ensemble (société de réseau, de vitesse, de personnalisation, etc.). De plus, ce type d’enseignement est en synergie avec les  » organisations apprenantes  » qu’une nouvelle génération de managers cherche à mettre en place dans les entreprises (nous y reviendrons).

  • Par ailleurs, on observe un changement qualitatif dans les processus même d’apprentissage.

On cherche ni plus ni moins à mettre en œuvre de nouvelles formes d’acquisition des connaissances et de constitution des savoirs.

L’apprentissage coopératif, illustration de l’intelligence collective dans l’éducation semble une voie prometteuse.

(‘apprentissage coopératif assisté par ordinateur (en anglais : Computer Supported Cooperative Learning ou CSCL) ; dans les nouveaux  » campus virtuels », les professeurs et les étudiants mettent en commun les ressources matérielles et informationnelles dont ils disposent. Les professeurs apprennent en même temps que les étudiants et ils mettent à jour continuellement aussi bien leurs savoirs » disciplinaires  » que leurs compétences pédagogiques – la formation continue des enseignants est d’ailleurs une des applications la plus évidente des méthodes de l’apprentissage ouvert et à distance).

c- Gestion des savoir-faire et des compétences, ou l’intelligence collective dans l’entreprise (ou organisation)

  • la compétence, moteur de la compétitivité

On va voir que le projet d’intelligence collective trouve le même genre d’application dans l’entreprise.

Partant du raccourci selon lequel le moteur le plus fort de la compétitivité, c’est la compétence, nous reviendrons sur la notion de compétence, il devient urgent, dans un contexte de mondialisation, d’hyper-concurrence de la valoriser, la gérer, la capitaliser, bref toutes ces mots d’ordre un peu tarte à la crème des méthodes de management ou des entreprises en pointe.

Il en va ni plus ni moins de la survie, de la perennité, de la croissance des entreprises. Il faut donc que s’instaure une  » économie de la connaissance « .*

  • finalités de l’économie de la connaissance :
  •  la capitalisation :

de tous les savoirs, toutes les connaissances, des potentiels de chacun. Si l’on capitalise, c’est pour en extraire plus que ce que l’on a mis.

  • l’implication :

des individus, en quantité plus ou moins grande, se retrouvent ensemble et produisent quelque chose, un production collective donc au sens de production du collectif.
L’implication/ responsabilisation des personnes devient un partage et un échange sur la compréhension des enjeux, les processus d’action, et la co-élaboration de ces visions.
Les compétences de chacun valorisées :  » la recherche de l’intérêt individuel participe de l’intérêt collectif « 

  •  la mutualisation :

dans cette perspective, les dirigeants ne se considèrent pas comme les plus compétents dans tous les domaines, mais invitent les personnes à se constituer comme « compétentes ». Le partage du savoir s’enclenche dans une dynamique de communication, d’expression, d’initiative, qui débouche sur une création collective : c’est l’entreprise apprenante.

Authier et Lévy ont-ils fait école, ou ont-ils judicieusement tiré les enseignements des méthodes adoptées par des entreprises innovantes en matière de management, dans la Silicon Valley notamment audébut années 70 (voir  » les Technologies de l’intelligence « , P. Lévy)?  Toujours est-il que les concepts qu’ils proposent ont trouvé une large audience : les cabinets de conseil mettent tous à leur catalogue ces notions d’entreprises apprenantes, de fonctionnement en réseau, le management par projet ou l’organisation matricielle, c’est-à-dire un management de coopération basé sur la compétence, la relation et la formalisation d’engagements réciproque.

Les principes de  » bonne organisation  » font aujourd’hui de l’entreprise une organisation :

recentrée sur un métier ( développement de compétences  » locales « )

coopérante, c’est-à-dire couplant, grâce aux réseaux techniques ou sociaux, la façon dont , en interne, l’offre se constitue, et, en externe, la demande évolue (étendre la portée des compétences locales au niveau macroéconomique)

qualifiante, apprenante (organisation conçue en fonction des compétences présentes des personnes qu’elle emploie, et de manière à les développer continuellement ; mise en relation des savoirs, de façon à faire émerger de son fonctionnement-même les compétences)

  • naissance d’un concept vedette : la compétence
  •  Comment la compétence est devenue une ressource

 

En essayant de retracer la façon dont les économistes ont essayé de définir les concepts d’information, de savoir et de compétence, on s’aperçoit que ces concepts sont apparus en trois temps, marqués chacun par un paradigme particulier, lié au contexte scientifique, technique et économique. Chaque paradigme génère : un nouveau concept (information, savoir, compétence), une nouvelle représentation des connaissances, de nouveaux indicateurs de la performance économique liés aux domaines de l’information, du savoir ou de la connaissance.
La représentation de la capitalisation des connaissances :

On peut distinguer trois âges dans l’histoire de la gestion des connaissances :

1940-1950 : naissance de l’information

la cybernétique, prise de conscience de l’existence et de la valeur de l’information dans l’activité économique.

1948 : Shannon publie sa théorie mathématique de la communication ; elle se focalise sur l’efficacité de la transmission d’un message dans un système ; s’intéresse à la forme , non au contenu. Invente le  » bit  » = quantité d’information contenue dans le choix élémentaires entre deux possibles probables.

1948 : Wiener publie  » Cybernetics « . La cybernétique peut être définie comme l’étude des communications, du contrôle, du commandement d’ensembles organisés, qu’ils soient naturels, techniques ou sociaux.

1948 : Von Bertalanffy écrit une théorie du système général

Dans le même temps, développement de la psychologie behavioriste puis cognitiviste : toutes deux reposent sur l’idée d’un décideur sans contexte. Large audience en économie ou en gestion (théories de la décision individuelle ou organisationnelle encore admises de nos jours)

La cybernétique permet le développement rapide d’outils de calcul numériques, de techniques d’organisation des flux d’information au sein des grandes organisations.

Du point de vue économique, deux faits majeurs : taux de croissance exceptionnels, rythme d’innovations techniques et organisationnelles soutenu.

Grâce aux cybernéticiens, l’info devient l’une des trois composantes de l’univers à côté de la matière et de l’énergie.

Les économistes intégrent l’info dans leur description du système économique. Par ex. JL Maunoury qui définit le savoir comme l’ensemble des connaissances disponibles pour une période donnée.

Dans ces conditions, la capitalisation est un processus d’incrémentation d’un stock de savoir.

Représentation de la capitalisation des connaissances : de type cinématique. Assimile l’information à un flux et le savoir à un stock.

1960-1980 : naissance du savoir

Les économistes resserrent leur point de vue et cherchent à apprécier le rôle du savoir scientifique et technique produit et accumulé par les activités de R&D. Ce qui expliquait la croissance ou la compétitivité d’une nation était la croissance du stock d’une information particulière, à savoir l’info scientifique et technique. Son volume produit dépendait du volume de facteurs engagés dans les activités de R&D : effectifs de chercheurs, dépenses R&D, etc

Représentation capitalisation : affine la précédente en lui conférant en outre un caractère dynamique (en amont, lors de la constitution du flux d’info, le progrès technique résulte à la fois d’un processus de maturation, et du degré de proximité entre offreurs de R&D, susceptibles d’influencer les effets  » boule de neige  » d’avancées scientifiques – d’où la création des technopoles- ; en aval, la vitesse d’écoulement des flux – c’est-à-dire la vitesse de diffusion de nouveaux savoirs, dépend à la fois de la densité des liens entre offreurs et demandeurs de R&D et du degré d’incitation, de la volonté des politiques technologiques et des politiques de transfert de technologie –publiques et privées.)

Depuis 90 : naissance de la compétence

Remise en cause de cette hypothèse (les Etats-Unis disposent du leadership scientifique mondial, d’une position dominante dans les industries de l’information, et connaissent au cours des années 80, de fortes dégradations de leurs positions compétitives, y compris dans les secteurs de haute technologie (cf rapport Made in America, InterEditions 1990)

D’autres concepts doivent donc être cherchés pour expliquer comment une nation acquiert un avantage compétitif durable. Parmi ces concepts, la vedette c’est incontestablement la compétence. !

Représentation capitalisation : de type  » actionnaliste « . Il n’y a plus de possibilité de mesure universelle et unique de la performance cognitive, elle se cantonne à des indicateurs contextuels et multiples. Capitaliser consiste à offrir à un  » acteur « , une sorte de  » germe  » à partir duquel ses compétences propres pourront se développer et lui permettre d’acquérir un avantage ou sur les acteurs avec lesquels il entre en compétition, ou un  » bagage  » pour interagir.

Les trois âges de la capitalisation des connaissances*

Période
Paradigme
Concept-clé
Représentation de la capitalisation des connaissances
Indicateurs de performance
1940-1960 cybernétique information cinématique Croissance du secteur informationnel, taux de progrès technique
1970-1980 Cognitiviste,connexionniste savoir dynamique Efforts de R&D, brevets
1990-… actionnaliste compétence actionnaliste Indicateurs contextuels

 

  • Alors, la compétence, mot-valise ou concept d’avenir ?

 » Notion transversale, ambiguë, sorte de mot-éponge qui s’est généralisé en éducation, en formation et dans l’entreprise « , c’est l’introduction à la notion dans un numéro spécial de la revue Sciences Humaines (févr. 96).

On peut lui trouver, cependant, trois caractéristiques : elle concerne une action précise (ex : concevoir et fabriquer une voiture), elle est relative à un contexte donné (concevoir de façon concourante et fabriquer pour le meilleur rapport qualité/prix une automobile répondant à des contraintes esthétiques, d’environnement, d’originalité- c’est l’exemple de la Twingo) ; elle résulte d’une interaction entre plusieurs types de savoirs (les connaissances déclaratives (lois physiques, réglementations, normes, etc…), le savoir-faire (règles de l’art, styles de conception, etc…), les capacités cognitives et capacités à juger sa capacité de faire une action (conatives), le savoir-être.

La compétence requiert un savoir-faire, au sens large, mais aussi elle st le résultat d’un processus de socialisation de l’action. L’acquisition des compétences est tout autant – sinon plus- faire d’organisation et de reconnaissance sociale que de formation.

Lévy et son compère Authier ont parfaitement assimilé (ou est-ce une géniale intuition ?) la nouvelle donne du jeu économique et social.

Devinant l’essor formidable des réseaux, et du Web en particulier, ils ont mis au point un projet centré sur l’individu, humaniste et sont allés jusqu’à l ‘  » outiller « . C’est ce que nous allons voir.

d- Une cartographie dynamique de l’espace de savoir

  • Cosmopédie et cinécarte

Au terme d’une série de recherches et de réflexions sur les nouvelles formes d’accès au savoir permises par les instruments numériques, Authier et Lévy aboutissent ensemble au concept de « cosmopédie » : la cosmopédie est le nouveau type d’organisation des savoirs sur le quatrième espace, une encyclopédie en forme de monde virtuel qui se réorganise et s’enrichit automatiquement selon les explorations et les interrogations de ceux qui s’y plongent.

 » Image plurielle, la cosmopédie est le tissu médiateur entre l’intellectuel collectif et son monde, l’intellectuel collectif et lui-même. « 

L’univers des communautés virtuelles serait semblable à celui d’une image explorable et mouvante du monde,  » un des lieux de formation du tiers-instruit  » selon Michel Serres, pour qui la  » cosmopédie «  est la  » messagerie (groupware) de forme hypertextuelle et hypericônique à très grande capacité de mémoire  » où  » tout le travail de référence et de mise en contexte devient inutile. La structure en groupware permet de faire une fantastique économie d’écriture. La cosmopédie est comme un espace relativiste courbé par la consultation et l’inscription. La réponse de la cosmopédie doit se formuler dans le style de la question « .

Or, cette notion de  » lieu  » reste très forte.

Dans le cyberspace, où sommes-nous ? comment nous situons-nous ? comment naviguons-nous ?

Authier et Lévy inventent la cinécarte, l’instrument de navigation dans l’Espace du savoir.

 » La cinécarte est l’image dynamique du discours collectif de la communauté sur elle-même et ses objets. Elle visualise les relations du collectif sujets-objets-langage. Elle autorise une exploration et une communication par proximité dans un espace continu. Elle organise dynamiquement les objets en fonction des descriptions qu’en font les sujets. Elle évalue dynamiquement les éléments du « territoire » en fonction de leurs descriptions et des transactions dont ils font l’objet. Elle permet aux sujets de se situer et de s’orienter entre eux et par rapport aux objets. Elle ouvre entre les sujets un espace de communication et de négociation de leur « langage cinécartographique ». « 

  • un exemple de cinécarte : les arbres de connaissances (ou de compétences)

Les Arbres de connaissances, outre le fait qu’ils permettent de se rendre compte de ce que peut être une cinécarte, sont une fois encore, l’illustration pratique du projet d’intelligence collective : recréation du lien social par les échanges de savoir, reconnaissance, écoute et valorisation des singularités, démocratie plus ouverte, plus directe, plus participative, tout simplement.

Il s’agit d’une méthode informatisée pour la gestion globale des compétences dans les établissements d’enseignement, les entreprises, les bassins d’emploi, les collectivités locales et les associations.
Grâce à cette approche, chaque membre d’une communauté peut faire reconnaître la diversité de ses compétences, même celles qui ne sont pas validées par les systèmes scolaire et universitaire classiques.
 » Poussant « à partir des autodescriptions des personnes, l’arbre des connaissances rend visible la multiplicité organisée des compétences disponibles dans une communauté.
Lisible sur écran, cette carte dynamique des savoir-faire d’un groupe ne résulte pas d’une quelconque classification a priori des savoirs : elle est l’expression, évoluant en temps réel, des parcours d’apprentissage et d’expérience des membres de la collectivité.
Des messageries électroniques mettent en relation l’ensemble des offres et des demandes de savoir-faire au sein de la communauté, signalent les disponibilités de formations et d’échange pour chaque compétence élémentaire. Il s’agit donc d’un instrument au service du lien social par l’échange des savoirs et l’emploi des compétences. (un peu comme les SEL, Systèmes d’Echanges Locaux )
Toutes les transactions et interrogations enregistrées par le dispositif contribuent à déterminer en permanence la valeur (toujours contextuelle) des compétences élémentaires en fonction de différents critères économiques, pédagogiques et sociaux. Cette évaluation continue par l’usage est un mécanisme essentiel d’autorégulation.
A l’échelon d’une localité, le système des arbres de compétences peut contribuer à lutter contre l’exclusion et le chômage en reconnaissant les savoir-faire de ceux qui n’ont aucun diplôme, en favorisant une meilleure adaptation de la formation à l’emploi, en stimulant un véritable  » marché de la compétence « .
Au niveau de réseaux d’écoles et d’universités, le système permet de mettre en oeuvre une pédagogie coopérative décloisonnée et personnalisée.
Dans une organisation, les arbres de connaissances sont censés être des instruments de repérage et de mobilisation des savoir-faire, d’évaluation des formations, et proposer une vision stratégique des évolutions et des besoins de compétences.
Dans tous les cas, les individus savent mieux se situer dans l’espace du savoir des communautés auxquelles ils participent et peuvent élaborer en connaissance de cause leurs propres stratégies d’apprentissage.

L’arbre de connaissance comme outil d’autogestion des apprentissages et de la formation…

 

La philosophie des arbres de compétences

  • Chacun sait quelque chose
  • Personne ne sait tout
  • Le savoir est immanent aux collectifs humains
  • La valeur d’une compétence est hautement dépendante du contexte
  • Les cartes du savoir doivent être fondées sur un relevé effectif du terrain

Un langage commun
Les arbres de compétences proposent un langage et un espace de négociation commun aux individus (qui offrent des compétences), aux employeurs (qui demandent des compétences) et aux formateurs (qui transforment des compétences)

Un outil de navigation dans l’espace du savoir
 

  • Des « cursus » à la navigation personnalisée
  • Des « pré-requis » à la possibilité de circuler dans un espace continu et sans barrière
  • Une autonomie accrue de l’individu face à l’espace du savoir

Un instrument de lutte contre l’exclusion

  • Aucun pre-requis n’est exigé
  • Tous les types de compétences, y compris les savoirs non formalisés ou non scolaires peuvent être reconnus
  • Les arbres de compétences renvoient a chacun une image positive

Un outil de régulation de la formation

  • Un instrument d’évaluation empirique des méthodes pédagogiques
  • Un tableau de bord permettant aux formateurs de répondre plus finement à la demande sociale

Une méthode de gestion des compétences dans les entreprises

    • Facilitation et valorisation des « bilans de compétences » dorénavant inscrits dans la loi
    • Une gestion des compétences souple, non fondée sur des catégories figées

Une responsabilisation de chacun face à la formation et à l’acquisition d’expérience professionnelle en fonction des besoins de l’entreprise

 

3- L’intelligence collective dans les faits :  » le deuxième monde  » et autres prototypes de mondes virtuels

Quelles sont les formes actuelles de télépresence autrement dit comment s’organisent les rencontres, de cette société « fortement communicante faiblement rencontrante » ?
a- Agoras virtuelles ou forums de discussion

  • IRC

On peut citer par exemple L’IRC, L’international Relay Chat, les membres de ces communautés virtuelles appelés les Ircleseurs discutent en temps réel de tout et rien dans des forums de discussions

L’administrateur du forum peut à tout moment déconnecter un des participants si celui-ci, ne respecte pas un certain nombre de règles proches du savoir vivre, Comme dans une discussion réelle lorsque l’on arrive dans la discussion on essaye d’y apporter quelque chose !

  • BBS

Les BBS Building Board Screen fonctionnent sur le même principe que le tableau blanc, Le babillard, Yannick Audrain nous à expliquer comment à ses débuts le site de Matignon avait mis en place un BBS ouvert sur lequel tous les citoyens pouvaient interpeller le premier ministre, et échanger des idées. Pierre Lévy définit ce mouvement :

 » ces mémoires communes sécrétées collectivement dans les conférences électroniques des babillards, ou les newsgroups d’Internet, dont la liste changeante dessine une carte dynamique des intérêts de communautés vibrionnantes. sortes d’encyclopédies vivantes. « 

Le point commun des nouvelles formes d’intelligence collective est pour Lévy la structure de communication « tous-tous ». Selon des modalités encore primitives, mais qui s’affinent d’année en année, le cyberespace offre des  » instruments de construction coopérative d’un contexte commun dans des groupes nombreux et géographiquement dispersés. « 

b- réalité virtuelle et 3D

  • des mondes peuplés d’avatars

Une autre facette de l’intelligence collective , offre une dimension supplémentaire à la réalité virtuelle.
En effet parmi les usages extrêmement répandus, les  » mondes parallèles  » fleurissent sur le réseau.

 » Avez-vous un avatar ?
Aujourd’hui, cette question peut vous sembler bizarre ! Mais, bientôt, elle sera tout simplement courtoise, mondaine, et même un peu conventionnelle…

Un avatar, c’est votre représentation physique dans les communautés virtuelles du cyberespace… A l’origine, le mot vient de l’hindi  » avatara  » qui signifie  » descente du ciel sur la terre « . Les dieux de l’Inde, et en particulier Vishnu, se servaient de divers avatars – ils s’incarnaient en vache, en éléphant ou même en légère brise – pour venir visiter la Terre, le monde inférieur qu’ils avaient créé.
Nous avons, nous aussi, créé un monde : c’est l’univers entièrement digital des millions d’ordinateurs qui communiquent entre eux par Internet. Comme les Dieux de l’Inde, pour aller vivre dans ce cyberespace, nous avons besoin d’une incarnation, d’un autre corps : d’un avatar.
C’est Snow Crash, le roman-culte de Neal Stephenson, qui a imposé il y a 3 ans le terme dans la cyberculture : son héros, un livreur de pizza, combat le pouvoir absolu dans un monde virtuel, sous l’avatar d’un samouraï.

Les communautés virtuelles que nous propose Internet sont pour l’instant plus pacifiques.  » Bonjour, monsieur le poisson !  » Le nombre de leurs membres, aux USA, est actuellement estimé à 300.000, et Alphaworld, Utopia ou OZ Virtual en Australie sont les plus réputées.

Mais comment s’intégrer dans ces univers parallèles ? L’étape initiatique passe évidemment par la création de votre avatar : attention, ce sera votre corps dans les communautés du cyberspace ! Un corps virtuel dont le choix est crucial pour David Le Breton, anthropologue, auteur de nombreux livres sur le corps.

 

David Le Breton : Dans les avatars, je vois quelque chose de plus ancien, pour moi, c’est une image moderne du
masque. Dans le masque, l’homme lorsqu’il cache son visage n’est plus responsable d’une certaine
manière de ses actes.
Alors, à quoi voulez-vous ressembler dans le cyberespace?
A un magicien ? A un diable ? A un cheval ? Chaque méta-monde vous propose d’innombrables
avatars, tristes ou gais, tendres ou inquiétants… Un oeil, une bouche et des dents : tout est
absolument possible !
Et si vous préférez un corps virtuel plus réaliste, on vous permet de redéfinir totalement votre look :
couleur de peau… coiffure… âge…
Refaites l’ourlet de votre pantalon virtuel, ça y est, vous voici incarné !
Maintenant, téléportez-vous dans le monde de votre choix et rencontrez-y d’autres avatars…
Physiquement, votre double virtuel se déplace, peut s’approcher d’un autre, le suivre, ou encore
s’isoler avec lui. L’activité essentielle est la discussion, effectuée dans des lieux distincts où on se
regroupe par centre d’intérêt. Les sites les plus évolués proposent même des activités sportives ou
ludiques !
Bref, vous avez un nouveau corps digital, et une vie vierge, libérée des contraintes du réel, s’offre à
vous !
Il s’agit donc de se dégager de sa responsabilité et puis dans un monde imaginaire, de vivre mille
aventures, de multiplier ses identités personnelles. C’est là le rêve individualiste par excellence,
redéfinir son identité de façon provisoire et de façon toujours changeante.

 

Fascinant, non ? Et même plus : avec les avatars, l’homme est en train de changer son rapport au
monde. C’est donc un nouveau sujet d’études pour les sociologues. La plus avancée dans ce
domaine est Sherry Turkle, professeur de sociologie au Massachusset Institute of Technology :

 

Sherry TurkleIl y a beaucoup de monde qui s’abandonne au fantasme de s’incarner dans un autre corps… des
hommes se changent en femmes par exemple, c’est très fréquent aux USA, c’est même une énorme
part du jeu érotique dans le cyberspace… Le phénomène est vraiment passionnant, car il engage
tellement de niveaux différents d’expérience !Alors pourquoi ne pas devenir un Don Juan du Cyberspace ? Ou, plus sournoisement, pourquoi ne
pas usurper l’identité de l’autre ?Quelque chose m’est arrivé on-line, que j’ai trouvé vraiment terrifiant. Dans une communauté
virtuelle où différentes personnes prenaient divers noms, personnalités, créaient des lieux où ils se
présentaient, on m’a appris qu’un avatar de cette communauté s’appelait de mon nom, Dr Sherry, et
qu’il tenait à ma place des consultations de cyberpsychologie!.
Très inquiétant ! Alors qui est qui ? Où est où ? Tenez, revenons à Paris… Ici, comme dans d’autres
communautés, votre avatar, quand il discute avec un autre en privé, est capable d’émotions.
Blagueur, énervé ou surpris, vous les déclenchez en cours de dialogue…

Alors, avec l’évolution des technologies, avec des avatars toujours plus vrais que nature, l’homme
du futur, l’Homo Virtualis, ne va-t-il pas sombrer dans la schizophrénie ? Sherry Turkle reste
optimiste :

Le vrai challenge sera de se sentir à l’aise entre réel et virtuel, physique et virtuel, de bâtir une nouvelle réalité entre le corps physique et le corps virtuel. Je crois que la distinction que nous faisons entre le monde de l’ordinateur et le nôtre va aller en s’atténuant.

 

  • le Deuxième Monde

Un exemple de réalisation existe sur le site de Canal+ : le Deuxième Monde, un Paris virtuel tout en 3D, de l’Arc de Triomphe au Sacré-Coeur… On se donne rendez-vous sous la Tour Eiffel, on se promène autour de la Pyramide du Louvre, on peut même aller faire ses courses sur les Champs-Elysées…
Le Deuxième Monde est l’antichambre en trois dimensions du monde réel, l’utilisateur évolue à travers la représentation graphique du personnage animé qu’il a lui-même façonné, baptisé  » avatar « .
Celui-ci va nouer des relations avec les autres habitants pour vivre des expériences d’autogestion.
L’utilisateur se promène alors le long des rues, places et monuments célèbres fidèlement reconstitués. Dès lors, il peut être rejoint par tous les utilisateurs du monde entier (1000 habitants maximum pour commencer) connectés au même moment .
Le Deuxième Monde revêt plusieurs formes et intérêts.
Dans sa forme classique et apparente, il constitue un espace de communication en direct de premier plan, directement inspiré de l’IRC (Internet Relay Chat) dans un environnement graphique de haute qualité. Véritable application multimédia, il fonde ensuite son attrait sur un niveau de technicité et de jouabilité comparable aux meilleures consoles de jeu. Enfin, il s’avère une source inépuisable pour l’expérimentation épistémologique et pratique concernant les implications d’un espace cybernétique sérieux et commercial, le tout agrémenté d’un système d’élections démocratiques et de participation active des citoyens internautes (« netizens « ).

Point d’entrée nécessaire et préalable à toute communication, l’avatar est l’humanoïde qui sera le double de l’utilisateur, le témoin et représentant visuel de sa personnalité aux yeux des citoyens du cybermonde. Possédant sa propre identité, il portera un pseudonyme choisi par ses soins. L’apparence physique sera établie en fonction de critères choisis parmi une palette de caractéristiques. Homme ou femme, son corps prendra forme grâce à un générateur de visage et de vêtements, suivant son inspiration pour la science-fiction, l’histoire ou la mode. Au gré de sa fantaisie ou de sa curiosité, l’utilisateur choisira âge, couleur de peau et de cheveux, forme du visage et des lèvres, corpulence de l’avatar, taille et couleur des vêtements et des coiffures… Selon l’option retenue pour son aspect physique, il deviendra qui un « cyberpunk  » en combinaison de métal, qui un »extropien » néo-médiéval… un citoyen unique dans l’espace cyber.

Peuplé d’avatars en provenance du monde entier, il favorise l’organisation de rencontres de type classique ou autour d’un sujet commun, quels que soient l’endroit, le lieu et la durée du contact. Celui-ci peut s’établir entre deux ou plusieurs personnes à la fois. Les thèmes ou activités à mettre en place sont à l’initiative de chacun, la liberté la plus totale lui étant réservée.

A tout moment, l’utilisateur peut quitter une discussion soit en se déconnectant, soit en s’éloignant.
L’utilisateur peut aussi fabriquer ses propres objets, les échanger avec d’autres avatars ou contre des
marchandises numériques bien réelles (logiciels, etc), faire vos courses sur le réseau, participer à des clubs, donner un rendez-vous à un ami place du Châtelet. Une question fut souvent posée aux créateurs : pourra-t-on tuer ? Les auteurs l’ignorent encore, mais reconnaissent qu’il faudra des lois, donc une police. (en savoir plus : http://www.2nd-world.fr/visiteurs/8questions.htm)

.  » Les avatars qui auront contrevenu aux lois seront jugés, et certains décapités sur la place publique à 15 heures ! «  suggère Philippe Ulrich, Président de Cryo.

Toutes les règles , éthiques, sociales, économiques, politiques, sont à définir par ses pairs afin de construire un nouveau monde, conforme aux aspirations et volontés créatrices de chacun. On peut imaginer l’instauration d’un modèle économique d’échange comme la création d’une monnaie, le vote d’une constitution, des référendums, le travail en commun ou le commerce… .

Parmi les nouveaux usages de l’internet on peut citer également La Télévision Citoyenne Multimédia.

Pour finir, on pourrait citer la prolifération des webcams, ces petites caméras placées un peu partout, certains les installent sur leurs ordinateurs mais d’autres en ont truffé leur appartement, et proposent aux internautes de les suivre au quotidien.

En poussant à l’extrême, on aurait pu imaginer l’année dernière des frigidaires reliés à internet, En fait ça existe déjà au Japon..et ailleurs … 
A quoi peut servir l’interconnexion des frigidaires ?

c- un autre exemple actuel d’intelligence collective : l’essor des logiciels libres

Le développement de l’Internet inquiète de plus en plus les grandes entreprises qui veulent imposer une gestion molaire des réseaux de communication.
Ainsi Vinod Vallopillil chef de la division Proxy Server de Microsoft aux Etats-Unis s’interroge de la menace que peuvent représenter les logicielles libres –OSS open source software – pour Microsoft..Dans une note interne mise sur le web le 31 octobre 1998, il est notamment surpris par le côté collectif du travail :  » La faculté de l’OSS de collecter et de fédérer le QI(quotient intellectuel) de milliers de personnes via l’Internet est tout simplement fascinant« 
( Cf Libération 4 nov98 et  Décision et micro  9 nov98)
Cette note vise plus particulièrement le logiciel Linux créé par un étudiant finlandais en 91. Ce système d’exploitation totalement gratuit séduit de plus en plus d’utilisateurs à travers le net. Il se développe sans aucune autre forme de publicité que celle des internautes

d- la nétiquette

De nouveaux modes d’opinion publique sont apparues avec la naissance de communautés sur le Net. Ont émergées des règles de bonnes conduite Celles ci concernent notamment les forums ou il est recommandé de se conformer à la  » ligne éditorial  » en apportant au forum des informations pertinentes Ce sont aussi toutes les règles de savoir vivre sur le net. Cet ensemble de règles est plus connu sous le nom de  » nétiquette  » La nétiquette regroupe ces lois coutumières On est bien en présence de l’anarchisme rationnel que prônait Wiener il y a cinquante ans .

Les flames

La nétiquette n’est pas seulement une convention informelle de bonne conduite .Il existe des moyens concrets pour la faire respecter. Un de ces moyens est la technique des  » flames « . Celle ci correspond à une convergence de messages hostiles envers celui qui contrevient à la Nétiquette. Lévy donne l’exemple dans cyberculture de cet Australien qui manifesta son opposition aux essais nucléaires en parjurant la langue française. Un tir nourri de messages venant en direct des quatre coins du globe le raisonna aussitôt.

III Potentialités, problèmes et  perspectives du cyberspace

1- La refonte du lien social

Lévy nous explique que  » l’usage socialement le plus riche de l’informatique de communication est sans doute de fournir aux groupes humains les moyens de mettre en commun leurs forces mentales pour constituer des collectifs intelligents et faire vivre une démocratie en temps réel « (p69L’intelligence collective) La cyberculture a donc, au niveau social, deux objectifs interdépendants : d’une part constituer des collectifs intelligents ; et, de ce fait recréer un nouveau lien social ; et d’autre part faire émerger de ces collectifs une démocratie en temps réel.

On s’attache ici à étudier le premier phénomène à savoir la refonte du lien social.

a-  » Intelligence collective, poison et remède de la cyberculture « (p32 cyberculture)

Avec l’intelligence collective un paradoxe voit le jour. Basé sur une infrastructure technique en constante mutation, le cyberespace reste encore subordonnée à la connaissance des technologies. C’est donc, pour celui qui n’y participe pas, un poison. De nouvelles sources d’exclusion naissent entre ceux qui savent utiliser la technique et les autres.

L’intelligence collective serait-elle réservé à une élite ? A cela Lévy répond en expliquant que chaque révolution nécessite un apprentissage. La société civilisée est basée sur l’alphabétisation des citoyens. Ici, le but n’est que de « se servir des instruments numériques de communication  » et non de savoir programmer. Les connaissances à acquérir ne sont pas si importantes. Tout le monde s’accorde pour penser que la division  » connectés/non-connectés  » va se réduire.

Le poison existe surtout pour ceux qui y participent. Pour s’en convaincre, il suffit de se référer aux griefs contre l’ordinateur. Parmi les plus connus, on distingue l’isolement, le voyeurisme, mais aussi les nouvelles formes d ’exploitations issues du télétravail, ainsi que les nouvelles formes de bêtises collectives(rumeurs…). Ainsi pour Breton le cyberespace marque le triomphe de l’individualisme. C’est. l’avènement du « moi pour moi  » On entre dans une société « fortement communicante et faiblement rencontrante  » La société est alors repliée sur elle-même

Mais pour Lévy, le cyberespace constitue précisément un remède,. C’est l’aspect socialisant qui prévaut. Il vient redonner une nouvelle identité à l’individu. Celle-ci sera basée non plus sur sa valeur de richesse commerciale mais sur le savoir qui le constitue.  » Tous les être humains ont le droit de se voir reconnaître une identité de savoir « . Chaque homme trouve donc sa place dans la société. Ce « savoir  » se traduit chez Lévy sous différentes formes. Il y a le savoir-faire mais il peut aussi s’agir d’un  » savoir-être « . Chaque expérience constitue un enrichissement pour la collectivité et vient se placer .comme un fruit sur  » l’arbre de la connaissance « . Le cyberespace constitue donc une nouvelle ingénérie du lien social

b- La nouvelle ingénierie du lien social.

Lévy distingue trois grandes technologies politiques composants les sociétés et régissant le lien social :

-les groupes organiques : les familles les clans, les tribus…

-les groupes organisés :les Etats les institutions, les Eglises, mais aussi les masses révolutionnaires…ce sont des groupes molaires ou le collectif est organisé par une entité centralisatrice.

-les groupes auto-organisés ou moléculaires que la cyberculture représente.

Autrefois, l’ingénieur du lien social était le curé ou le maire. Ils appartenaient à un groupe organique ou organisé et venaient souder les individus autours d’une idée molaire, fédératrice comme l’Etat ou l’Eglise. Pour Lévy, la quasi-totalité des formes culturelles ont toujours eues vocation à l’universalité. Mais elles sont chacune assorties d’ambitions totalisantes. Elles utilisent pour cela différents attracteurs. La religion utilise le sens ; la philosophie, la raison ; les médias, « le spectacle sidérant baptisé communication « . Les individus sont appréhendés en masse selon les techniques de quotas, d’échantillonnage. Chaque individu, pour avoir une existence sociale, doit intégrer un ou plusieurs segments prédéterminés.  » Avec la cyberculture s’exprime l’aspiration à la construction d’un lien social, qui ne serait fondé ni sur des appartenances territoriales ni sur des relations institutionnelles, ni sur des rapports de pouvoir, mais sur la réunion autour de centre d’intérêts communs « (p154 Cyberculture). Les individus ne seront plus considérés en masse de façon molaire, entropique ou tous les individus sont interchangeables. Les nouvelles règles du jeu social prendront en compte les richesses personnelles, individu par individu ; qualité par qualité, de façon moléculaire.

Breton résume bien l’enjeu de cette nouvelle utopie. Selon lui  » le fait d’appartenir à la même communauté de lecteurs , indignés au même moment par la lecture du même éditorial du journal LeMonde , par exemple, peut bien faire horreur au nouveaux utopistes, elle n’en constitue pas moins un élément du lien social. Mais c’est bien cela qu’ils veulent dénouer « (p163 L’utopie de la communication)

Finalement plus pragmatique, Lévy met en garde contre les discours valorisant le travail social comme l’unique moteur d’insertion. Le travail salarié étant en voie de raréfaction, il ne peut subvenir au besoin de restructuration du lien social. C’est l’intelligence collective qui le permet. Ainsi,  » si autrui devient une source de savoir, la réciproque est immédiate « . Le désir toujours renouvelé de connaître l’autre corrobore la satisfaction d’être pour lui une source de connaissance. L’ingénierie du lien social n’obéit qu’à ses propres règles. Elle est « l’art de faire vivre des collectifs intelligents et de valoriser au maximum la diversité des qualités humaines « . Elle pourrait aboutir à une nouvelle forme économique ou toutes les formes d’activités sociales ont leur place.

 

2- Conflits d’intérêts et cohabitation virtuelle dans le cyberespace

Selon Microsoft, 65 % des sites Web européens seront dédiés au commerce électronique d’ici à 4ans. Le rapport officiel Américain Magaziner, définissant  » un cadre général pour les autoroutes de l’information  » , présenté en juillet 1997 par Bill Clinton, se résumait en une formule : Internet, cela doit servir avant tout à faire des affaires.
La cohabitation des pouvoirs et la conjonction des intérêts dans le cyberespace est un des aspects problématiques mis en perspective par Lévy et Breton. Dans le cyberespace quatre sphères plus ou moins distinctes cohabitent aujourd’hui virtuellement !

a- internet marchand/internet libertaire : nécessaire cohabitation

Espace marchand, Espace de connaissance. Espace libertaire et Espace institutionnel.

Philippe Breton tout d’abord décrit le secteur de la communication comme  » immensément investi par des intérêts marchands. »

Il ajoute que ceux ci agissent  » d’une manière particulièrement habile en laissant passer une sorte d’avant garde, en laissant aux défenseurs d’une position anarchiste de type Wiénerienne le soin d’ouvrir la voie.  » Il pense entre autre à toutes ces tribus d’internautes que l’on appelle les hackers, Fondamentalement attachés aux idées d’ouverture, de gratuité et d’universalité

Au point que pour Breton le piratage informatique à l’exceptions de rares cas de délinquance réelle –
incarne véritablement cette anarchie fondatrice, l’ouverture des systèmes étant perçue comme une mission libératrice. Donc si Internet est aujourd’hui gratuit et ouvert ce n’est pas pour Breton par philanthropie, mais je cite :
«  c’est qu’a l’évidence il s’agit de laisser se créer un besoin une demande exploitable à l’avenir. « 

Pierre Lévy souligne par contre le caractère ouvert du devenir du cyberespace et de ses implications sociales. Il établit comme hypothèse qu’il est impossible pour un acteur aussi puissant soit il de maîtriser les facteurs qui concourent à l’émergence de la cyberculture contemporaine.
On reconnaît la Le lévy optimiste qui se distingue de Breton.
Pour lui le cyberespace marchand peut bien devenir un immense marché planétaire des biens et services. Même si ce projet poursuit l’avènement d’un  » véritable libéralisme  » tel qu’il à été imaginé par les pères de l’économie libérale. Puisqu’il exploiterait la possibilité technique de supprimer les intermédiaires et de rendre l’information sur les produits et les prix presque parfaite pour tous les acteurs du marché.
Pour Lévy
«  la croissance de la cyberculture est alimenté par la dialectique de l’utopie et du business, dans laquelle chacun joue de l’autre sans qu’il y ait pour l’instant de perdant. Il ajoute à juste titre que le commerce n’est pas un mal en soi.  » cyberculture p278

C’est un des paradoxes du développement du cyberespace le mouvement social libertaire profite de sa récupération.
Puisque l’interaction du cyberbusiness avec les autres activités d’échanges sont désormais telles que l’existence même et le développement d’internet est garanti.
Et de toute façon Pierre Lévy se démarque des nombreux chiens de garde alarmistes en précisant son point de vue : L’intelligence collective n’est pas incompatible avec le supermarché planétaire.
La question ne se pose donc pas en ces termes car il y assez de place dans un cyberespace dénué de centre pour les sites voués aux cyber ménagères de moins de 50 ans et ceux dédiés aux communautés libertaires.
Finalement on peut même dire que la dynamique économique profite à la dimension sociale du cyberespace.

Et puis enfin, heureusement la connaissance et l’info n’obéissent pas aux règles de l’économie:
quand on consomme une info on ne la détruit pas et quand on la donne, on ne la perd pas.

Sur ces perspectives du développements du cyberbusiness et de l’inteligence collective, Lévy pense que l’avenir nous offrira comme à l’heure actuelle, probablement un mélange des deux. Mélange dont les proportions dépendent en définitive de la force et de l’implication du mouvement social.
b- faut-il règlementer et si oui, comment ?

Du point de vue des états maintenant la question est de savoir comment se définiront les règles du jeu entre les domaines commerciaux, institutionnels et personnels.

En somme qui fixera les frontières et règlements d’un espace déterritorialisé déréglementé & décentralisé ?

Pour mettre de l’ordre dans cet espace de liberté anarchique. Pour établir un cadre et une limite arbitraire. Le gouvernement du réseau supposerait par exemple une instance internationale un Cyber Onu consensuel qui face aux dérives marchandes ou libertaires serait capable d’imposer une réglementation internationale, cette utopie est quasiment impossible à réaliser il y auras toujours des cyber-paradis fiscaux virtuels !

Les états auront du mal à administrer politiquement les usages particuliers, car en outre il faudrait établir techniquement un centre névralgique !

Sur ce point Pierre Lévy souligne un fait amusant :
la structure  » acentrée  » du réseau fut imaginée par des militaires  » paradoxalement peut-être Internet est il anarchiste non pas malgré son origine militaire mais à cause de cette origine. « 

Quelles sont les perspectives imaginées par Lévy  pour l’avenir politique de cette cyber société ?

 

3- L’illumination déterministe.
On voudrait tout d’abord souligner quelques unes des particularités rhétorique de l’intelligence collective, Les  » cyber figures  » poétiques et historiques.

a- Une  » randonnée philosophique «  autour de l’inconscient collectif

En effet on retrouve dans son livre une sorte de randonnée philosophique originale.
Le vocabulaire et la rhétorique sont quelquefois surprenants, je cite en vrac quelques morceaux choisis:

Chorégraphie des corps angéliques
L’athéologie des mondes virtuels
Les analogies historiques surprenantes avec par exemple la tradition Fârâbienne..

Pierre Lévy se demande lui même en quoi  » ces spéculations philosophico théologicio médiévales peuvent elles éclairer le projet d’une intelligence collective  » l’intelligence collective p101
Il n’y répond pas complétement mais le titre est sur ce point éclairant : L’intelligence collective rappelle la notion d’inconscient collectif.

En Ethnologie c’est pour Jung :

« L’ Héritage spirituel de l’évolution du genre humain qui renaît dans chaque structure individuelle« En effet pendant une importante partie de son ouvrage Pierre Lévy resitue sa problématique dans le vaste réseau préexistant de l’héritage culturel du genre humain. dans une perspective anthropologique de longue durée :
Après avoir été fondé sur le rapport au cosmos puis sur l’appartenance au territoire et finalement sur l’insertion dans le processus économique l’identité des personnes et le lien social pourraient bientôt s’épanouir dans l’échange des connaissances.
Il s’agit pour lui de situer son apport philosophique, afin de justifier sa philosophie politique, et donc d’introduire son projet fondamentalement humaniste comme il le précise p244.

« un projet qui reprend à son compte avec les instruments d’aujourd’hui les grand idéaux d’émancipation de la philosophie des lumières. « b- Le savoir comme nouvelle infrastructure ?

Quel  ce projet ? Une philosophie politique

On note :

 » Le savoir est la nouvelle infrastructure « 
L’aliénation de la cyberculture P116
Le  » capital  » virtuel, la nouvelle richesse c’est l’information
L’accumulation d’information = la connaissance
Le vocabulaire et les concepts du Marxisme sont présents tout au long de l’ouvrage de Lévy, comme Marx, Pierre Lévy fonde son projet philosophique sur la critique du système actuel sorte de constat du vide social.

Ou :  la démocratie le moins pire des systèmes, doit se renouveler pour ne pas disparaître.
Il parle même  p 45 (l‘intelligence collective) d’une urgence sociale.

La théorie Marxiste analysait les mécanismes à l’œuvre dans l’évolution des sociétés en identifiant par exemple les permanences historiques telle que la lutte des classes, comme véritable acteur de l’histoire.
Pierre Lévy définit également un sens anthropologique pour l’humanité, ou le moteur de l’histoire serait la technique. Et le sens de l’histoire le partage de la connaissance.
En effet le tableau anthropologique de l’évolution de la société, est uniquement composé de charnières techniques.
La similitude entre les deux philosophes est intéressante , en effet la superstructure semble être pour les deux le facteur déterminant ou conditionnant de l’évolution des mentalités .
La connaissance est la nouvelle infrastructure dit Lévy mais en poursuivant son raisonnement on peut se demander si Lévy pense à la technique comme éternelle superstructure.

A première vue on est donc tenté de hurler au loup en le qualifiant de technocroyant déterministe.

Mais en fait pas du tout.  Lévy précise à la fin de son ouvrage, que son analyse des rapports entre les espaces est incomplète :

 » si nous en restions là les espaces anthropologiques seraient presque réduit à un empilement de strates, à une hiérarchie de conditions et de contraintes, à un système d » infrastructures et de superstructures. Mais les espaces anthropologiques sont autrement impliqués que selon cette version simpliste de leurs relations.  » p.220C’est en fait le problème des relations entre les espaces anthropologiques que souligne Pierre Lévy. C’est la causalité sans contact qu’il définit dans « l’inteligence collective » p220.

La question est reprise dans « cyberculture » où il se demande si les techniques déterminent la société ou la culture.
Pour Lévy la relation est donc beaucoup plus complexe qu’un rapport de détermination Marxiste par exemple.

Une technique est produite dans une culture, et une société se trouve conditionnée par ses techniques.
Le mot important c’est :  » conditionnée  » en effet Lévy reconnaît l’importance des techniques au milieu des autres conditions de l’émergence d’une cyberculture.
Il se distingue de la pensée déterministe en recherchant les occasions qu’elles permet de saisir, en formulant des projets qui exploiteraient les virtualité dont elle est porteuse.

c- L’universel sans totalitarisme

Lévy renverse donc les approches traditionnelles en cherchant ce qu’on peut faire de la technique plutôt que ce que la technique à fait de nous.

Pierre Lévy est un technopragmatique.
S’agit il d’un techno- pessimiste déterministe réaliste ? la question n’est pas là, l’enjeu c’est donc la liberté des individus faces aux évolutions matérielles de leur environnement ; leur liberté face aux usages potentiels des techniques.

Pierre lévy nous invite à ne plus réflechir en termes d’impact des techniques sur la société mais de projet.
L’utopie de Lévy,  c’est la fin de la transcendance il n’entend pas par là la fin de l’état mais la collectivisation de l’intelligence. L’universel sans totalitarisme.

Si l’intelligence est le nouveau capital, La collectivisation de l’intelligence, comme la collectivisation des moyens de productions est donc le moyen POLITIQUE d’organiser la société .
d- Une démocratie directe, en temps réel ?

Le philosophe engagé qu’est pierre Lévy définit donc un projet politique à part entière,
Une des potentialités de ce projet est formulée lors du chapitre sur la démocratie en temps réel. :

 » Démocratie d’initiative et d’expérimentation directe , utilisant de nouveaux instruments techniques et sociaux d’expression des collectifs. « Il faut préciser que Lévy ne propose pas un programme politique, mais un cadre conceptuel une approche philosophique il

«  fournit des instruments de compréhension et de traitement des difficultés d’organisation sociale plus adéquats aux temps que nous vivons « . P216 de l’intelligence collective.Dans « cyberculture »,  il définit explicitement ce qu’il entend par démocratie électronique :

Il liste quelques unes des potentialités d’un cyberespace démocratique :

  • mise en valeur des compétences locales
  • organisation des complémentarités entre ressources et projets
  • réseaux d’entraide c’est à dire d’échange de savoir d’expérience et de compétence.
  • Participation accrue de la population aux décisions politiques

On trouve déjà des cités digitales basées sur ces principes la ville d’Amsterdam à mis en place nous apprend Lévy une sorte de redoublement des équipements et des institutions de la cité classique, sur lequel outre les informations traditionnelles transposées, on trouve aussi diverses associations d’habitant qui ont le droit d’occuper un emplacement dans la cité digitale. Elles peuvent diffuser des informations et organiser des conférences électroniques avec les élus et les administrés.

Finalement on est en face d’un paradoxe surprenant c’est potentiellement grâce au cyberespace que la démocratie locale va pouvoir se développer, les perspectives de démocratie directe ne sont pas celles du télé-référendum, mais c’est le processus de consultation des citoyens qui évolue..

Citons sur ce point l’avis de Philippe Breton qui nous rappelle :

 » qu’a chaque fois que l’humanité, un groupe social, une civilisation découvre un outil nouveau, l’idée se représente qu’on va pouvoir reconstruire le monde avec l »aide de cet outil  » Il ajoute cette illusion peut durer un certain temps, peut durer longtemps … peut durer parfois trop longtemps. « il semble visiblement agacé par deux promesses de la proposition de Lévy, celle de changer la société et celle de changer le lien social.

Ici Pierre Lévy ne pense pas reconstruire le monde mais plutôt le lien social. Breton précise que cette promesse engendre un effet pervers : Il dit

«  Le succès de cette promesse technique de cette promesse bien trop envahissante par rapport à la dimension concrète de l’outil est peut être liée à notre difficulté actuelle à définir les finalités humaines , à définir ce que c’est que la politique, ce qu’est le lien social. Et c’est peut être de cette difficulté à nous intégrer à la communauté des hommes que nous vient ce fantasme d’une communauté universelle et d’une communauté directe. « Breton distingue donc clairement les moyens techniques des finalités politiques, il pense qu’il serait erroné et dangereux de les confondre. Il semble à première vue plutôt pessimiste sur les potentialités du cyberespace. En somme, il dit que ces discours d’accompagnement des techniques déchargent les politiques du rôle de changer la société.

Sur le fantasme de communauté directe stigmatisé par Breton, la force de Lévy c’est sans doute de lier démocratie directe et démocratie locale dans le cyberespace.

Breton pense que les techniques de communication sont depuis l’antiquité traversés par ce fantasme, et que l’on touche ici je cite à  » l’épaisseur du mythe et de l’utopie qu’on fait promettre aux techniques bien plus qu’elles ne peuvent en donner « 

Il faut croire et imaginer que nous pourrons demain simplement proposer une bonne idée en temps réel à un conseil des citoyens plus directement qu’aujourd’hui ou les élus apparaissent quelquefois décontextualisés. C’est pourtant beau le Lévysme !

Pour Breton cette autre réalité potentielle est agaçante

  » L’anthropologie que je suis commence à dresser l’oreille quand on lui parle de changer le lien social « 

Il pense à Lévy en particulier, mais celui ci décrit dans son livre un renouvellement du lien social qui d’une part est déjà en route, et d’autre part est conditionné et non pas déterminé par les techniques et les usages.

L’ensemble des différences de point de vue entre Lévy et Breton souligne l’implication des intellectuels Français dans le cyberdébat, on retrouve d’ailleurs les mêmes lignes de fracture dans le cyberespace politique entre conservatisme social et forces de progrès.

Finalement  » l’utopie  » de Pierre Lévy ressemble, toute proportion gardée, aux idéaux des lumières du XVIII e siècle, aux mouvements utopistes du XIX e siècle : on pense en particulier au fédéralisme universel de Proudhon aux communautés phalanstères de Fourrier (ces communautés de 811 individus regroupant toutes les qualités) ainsi qu’aux analyses marxistes…

En somme le philosophe du cyberespace actualise les problématiques des philosophes de l’ère industrielle.

Le marxisme est mort vive le LévysmeConclusion

Quelques critiques quand même sur la forme on retrouve uniquement deux brèves références à Cybernétics dans l’intelligence collective et à Marx dans les technologies de l’intelligence.

A qui il emprunte pourtant scientifiquement mais sûrement des concepts et des théories.

On aurait aimé connaître ses positions. C’est d’autant plus étonnant qu’on doit reconnaître à Pierre Lévy un véritable effort de contextualisation philosophique et surtout une démarche de proposition politique utopique pour certains mais d’actualité c’est certain

Finalement Lévy est un visionnaire de l’actualité, et le premier homme politique fançais du cyberespace avec comme devise à lui soumettre Liberté égalité et Cyberfraternité.

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